Jonone (Né en 1963)
Évoquant ses jeunes années, JonOne aime à invoquer cette image mythique, ce souvenir fondateur et originel : la traînée éblouissante de couleur et de vitesse laissée par une rame de métro taguée… Comme une révélation. Ce sera donc la rue. Le graffiti. Les tunnels.
Persécuté économique, dominé par des instances et un environnement qui méprise ses origines afro-américaines et hispaniques, le jeune John embrasse la subversion comme on entre en résistance : il se rebelle d’instinct, refusant en bloc une vie qui n’aurait su être sienne, une vie qui l’aurait symboliquement mis à mort…
Alors qu’il dévore aujourd’hui son deuxième demi-siècle à pleines dents, JonOne maintient cette ligne de vie avec une vivacité intacte. « La force de la rue emportait tout. La rue m’excitait » se souvient l’artiste. Son bonheur, ses rencontres, John les a trouvés dans les coins et recoins de New York. Dans les excès, le bruit, la fureur, les halls d’immeubles et les cages d’escalier. Lucide, il fait très vite le deuil de son rêve américain : John va alors s’inventer une communauté, et un geste nouveau : le graffiti. « Que faire lorsque l’on se heurte, chaque jour, à un mur ? S’y frapper la tête, s’y exploser les poings, le démolir, le dynamiter ? J’ai choisi de faire mien, de m’approprier les murs de la ville. »
Il est alors mû par une énergie adolescente incandescente. Or techniquement, le garçon est autodidacte en tous points : « je n’ai pas reçu d’éducation artistique. À l’époque, lorsque je taguais les trains à New York, je ne pouvais imaginer qu’un jour je puisse m’exprimer avec la même intensité sur la toile. Les graffers s’auto-engendrent et c’est par contagion que je suis arrivé dans la scène Tag. Parce que l’école que je fréquentais était stricte. Et tellement ennuyeuse. Je ne me souviens que d’une chose à l’époque. Seuls ceux de la rue avaient la liberté. Je ne voulais pas de ce que les institutions américaines avaient à m’offrir : un joli costume, une jolie maison, un travail aliénant. »
Certaines rencontres vont alors peser sur la vie du jeune homme avec plus de poids que n’importe quel déterminisme sociaux : « lorsque j’ai croisé le chemin d’A-One, ma route a commencé à s’éclairer. Il voyageait beaucoup, en Europe notamment. A-One traînait également avec Jean-Michel Basquiat. A-One était le lien entre la rue et le monde de l’art contemporain. J’écoutais ses récits de voyages et mes yeux brillaient d’envie. À cette époque à New York, j’étais comme beaucoup de jeunes d’aujourd’hui. Blasé et sans but, je passais mon temps à zoner devant mon immeuble. À l’époque, je ne sortais moi non plus jamais de mon quartier. C’est sous l’influence d’A-One que j’ai commencé à me rendre dans des galeries ou des musées. À visiter des expositions, à nourrir et aiguiser une certaine vision de la société dans laquelle j’évoluais, du monde qui m’entourait. C’est là que j’ai commencé à valoriser mon action créative, à prendre mon travail au sérieux. À ne pas l’envisager uniquement comme du vandalisme mais à l’élever au rang de geste artistique complet. »